Cercle Zetetique

Big Bang ? Pas Big Bang ?

Le débat sur les origines de l'Univers

Dossier réalisé par Jean-Claude PECKER.

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Le "vieux Big Bang"


Le Big Bang? Parlons plutôt de "la grande explosion des origines..." C’est le résultat convergent de deux séries d’ observations bien faites, de leur interprétation la plus simple, de l’extrapolation (hasardeuse!) de cette interprétation, et d’une fantastique exploitation médiatique (et même catholique...).


Les observations, ce sont d’abord celles de Slipher, dans les années 1910-1920, d’un “décalage vers le rouge” (“redshift” dans la littérature anglophone) des raies du spectre des galaxies les plus lointaines (mais encore assez proches, compte tenu des moyens faibles dont disposait Slipher). Ce sont ensuite celle de Hubble, dans les années 20, au télescope de 2 mètres du Mont-Wilson, qui arrive à mesurer les distances des galaxies (avec des procédés indirects, mais puissants, dont je ne parlerai pas ici), et qui mesure aussi une cinquantaine de décalages spectraux de galaxies, jusqu’à des distances de l’ordre de quelques millions d’années de lumière.


Hubble note que plus la distance est grande, plus le décalage spectral est grand; il y a, selon lui, une stricte proportionnalité entre “décalage spectral” et “distance”: c’est la relation de Hubble.


Or, à l’époque de Hubble comme maintenant, un seul phénomène bien connu conduit à interpréter les décalages spectraux : c’est l’effet Doppler-Fizeau, découvert au milieu du XIXème siècle. Si une source de lumière s’éloigne de l’observateur, son “spectre”, toutes les “raies” de son spectre, sont décalées vers le rouge d’une quantité proportionnelle à la vitesse d’éloignement. Et si la source s’en rapproche, le spectre est décalé vers le bleu. D’où l’interprétation : les galaxies s’écartent de nous d’autant plus vite qu’elles sont plus éloignées; donc elles s’écartent les unes des autres d’autant plus vite qu’elles sont plus éloignées... Il y a une “expansion” générale de l'univers. Hubble lui-même et le thermodynamicien Tolman, dans la fin des années 30, parlaient cependant encore d’expansion “apparente”. En effet, ne fallait-il pas laisser la porte ouverte à d’autres interprétations possibles des décalages spectraux des galaxies, si grands par rapport à ceux que l’on réalise au laboratoire?


Quoi qu’il en soit, si on interprète la relation de Hubble en termes d’expansion réelle, et si l’on se livre à une extrapolation élémentaire, et que l’on remonte dans le temps d’une façon simpliste, comme si le taux d’expansion avait été constant, on en arrive à un moment dans le passé où l'univers était hyper-condensé, de densité “infinie”, - ce que les mathématiciens appellent un “point singulier”. L'univers était-il alors effectivement rassemblé en un point, et de volume nul? Il n’y aucune raison pour cela. Non : ... simplement de “densité infinie” - partout.


Pendant cette même période, les théoriciens travaillaient à construire un univers qui satisfasse aux lois de la Physique, telles que synthétisées par la Relativité Générale (RG) d’Einstein (1916), et qui rendaient compte de toute la physique connue sur Terre .La RG explique même certaines anomalies par rapport à la physique newtonienne, observées au voisinage du Soleil, telles la déviation forte des rayons lumineux par le Soleil (observable au cours d’une éclipse de Soleil), ou les anomalies du mouvement de la planète Mercure, la plus proche du Soleil. Einstein, le premier, construisit alors un modèle d’univers, fort simple d’ailleurs. Il le voulait, a priori, stationnaire, pareil à lui-même de toute éternité. Pour ce faire, il introduisit un nouveau terme dans les équations, afin de simuler une force de répulsion compensant l’attraction newtonienne classique: c’est la “constante cosmologique”, désignée par le symbole L. Mais Friedmann (1922), puis Lemaître (1929) éliminèrent cette idée d’Einstein. Friedmann, supprimant la constante cosmologique, obtient des modèles possibles en grand nombre. Certains d’entre eux sont compatibles avec l’expansion de l'univers. Les plus “raisonnables” admettent un point singulier, éloigné dans le passé un peu moins que le temps écoulé depuis le point singulier issu de l’extrapolation simple. En d’autres termes, l’extrapolation du taux de la relation de Hubble fournit une valeur limite supérieure de l’âge de l'univers dans les modèles de Friedmann. Au temps d’Hubble, les mesures donnaient à cette âge limite environ 2 milliards d’années... Or la Terre (on le sait grâce à la géologie) est plus vieille : 4.62 milliards d’années... Contradiction!... Il faudra étendre, modifier, corriger, les mesures de Hubble. Lemaître imagine l’existence de cet univers primitif comme effectivement limité à un point, qu’il appelle “l’atome primitif”. De cet atome primitif serait né, après une fantastique explosion, tout l'univers.


Gamow, Alpher, Herman, dans les années 1949-1954, vont plus loin que la description mathématique, et limitée à la densité, de Friedmann, ou de Lemaître. Ils imaginent que la température de cet état singulier origine doit, comme la densité, être “infinie”. Le refroidissement brusque de l'univers ressemble à une trempe métallurgique... C’est dans la fournaise que doivent se former les éléments chimiques, un peu moins de 90% de noyaux d’hydrogène, et de 10% de noyaux d’hélium, et le reste en abondances bien plus faibles...


Hoyle, qui ne croit pas aux idées de Gamow, ni aux modèles de Friedmann-Lemaître, et qui préfère un univers stationnaire, comme naguère Einstein, se moque ouvertement de la théorie de Gamow, et par dérision lui donne le nom de “Big Bang”... Mais Gamow avait aussi le sens de l’humour, et, de cette moquerie, il se fait un drapeau, ô combien médiatique!, si bien que ce fut le mot qui, en vérité fit la fortune de l’idée.


En même temps (1951) le pape Pie XII, s’exprime longuement sur ces questions, à un point de vue plus métaphysique que physique : pour lui, le “Big Bang” , c’est le “fiat lux”... Le Big Bang a le vent en poupe, et ceux qui, dans la tradition d‘Einstein, en montrent les difficultés n’arrivent pas à se faire entendre, ni publier, sinon dans des revues peu lues. Ils sont franchement dénigrés, et oubliés.


Fin provisoire de l’histoire du "vieux Big Bang"...


La théorie de Gamow et de ses coauteurs fait l’objet d’une série très complète d’articles. Bien entendu, elle rend compte de l’expansion, son postulat de base... Elle permet aussi de prédire la composition chimique de l'univers, et l’existence d’un certain “rayonnement de fond de ciel”, rayonnement d’un “four”, dont la température, évaluée par ces auteurs, aurait une valeur To comprise entre une fraction de degré et quelques degrés absolus (un four très froid et donc observable seulement dans le rayonnement radio de haute fréquence). Pour décrire et prédire ces trois types de faits d’observation, dits d’ “importance cosmologique” (mais il y a bien d’autres faits d’importance cosmologique!) il reste des paramètres “libres” dans la théorie; la densité moyenne de l'univers, ro, dont nous ne mesurons qu’une valeur limite inférieure, et la constante qo de décélération qui mesure la variation de H, peut-être décelable pour les décalages importants vers le rouge. Ces paramètres étant correctement ajustés, la théorie rendra compte de toutes les observations. Mais on voit l’aspect ad hoc de ces calculs... D’autre part, si le rayonnement de fond du ciel avait été de fait observé par Mc Kellar en 1941, indirectement, il ne l’avait pas encore été directement, et le travail de Mc Kellar était peu connu... Ceci explique que beaucoup d’éminents astronomes aient beaucoup douté à cette époque, de la théorie de Gamow.


En 1964, la découverte de ce rayonnement dans les ondes radio millimétriques, par Penzias et Wilson, la mesure de son spectre, toutes les mesures ultérieures, montrent qu’il s’agit bien d’un rayonnement de “corps noir” de 2.735 K, et tout cela conforte l’idée du Big Bang. Vers la fin des années 60, le dogme est universellement accepté. En fait c’est à ce moment-là que commencèrent les difficultés! Car qui pouvait dire que l’on connaissait bien la physique de ce milieu “initial” à des températures et des densités si élevées? Et d’autre part, n’y avait-il pas comme une façon nouvelle d’introduire dans la théorie physique l’idée métaphysique de “création”? Enfin la “constante” de Hubble, même très bien déterminée après les travaux de Sandage, de de Vaucouleurs et de bien d’autres, donnait un “âge de l'univers” encore trop court pour s’accommoder facilement de l’âge des amas globulaires d’étoiles de notre Galaxie, alors évalué à 15-20 milliards d’années.


Le “nouveau Big Bang”


Face à toutes les difficultés, il fallut élaborer de nouvelles théories des origines. Que s’est-il vraiment passé dans la faction de seconde infime qu’a été l’explosion? Que pouvait dire la physique?... Les physiciens ont cherché à expliquer pourquoi le rayonnement de fond du ciel, que l’on continua de mesurer après Penzias et Wilson, était si “isotrope”, c’est-à-dire parfaitement le même dans toutes les directions (une fois corrigé des effets du mouvement du Soleil dans notre Galaxie, alors que la distribution des galaxies elles-mêmes est loin d’avoir cette “isotropie”). Cela était inexplicable dans le Big Bang standard classique. Il fallut explorer des théories physiques difficiles, réintroduire la constante cosmologique, inventer l’“inflation”, qui en une infime fraction de seconde divise par des milliards de milliards de milliards la densité de l’univers, avant que l’expansion ne se stabilise; il faut faire intervenir des particules élémentaires nouvelles, quarks, et gluons notamment, stables à ces très hautes températures; il faut viser à l’unification de toutes les interactions fondamentales, à de très faibles distances; car il semble inconcevable que les forces de la gravitation ne se confondent pas avec celles de l’électromagnétisme ou avec les interactions internes au noyau. C’est la théorie de la “Grande Unification”(GUT)... On imagine un univers en quelque sorte idéal, dit “supersymétrique”(“SUSY”). Bref on introduit une nouvelle physique. Avant qu’entre en jeu cette nouvelle physique, on a affaire à une espèce d’univers “quantique” ultra-dense, et l’on manque tout à fait aujourd’hui d’idées capables d’en décrire le comportement. Dans cette soupe primitive, qui aurait duré depuis ? - très longtemps peut-être! - , l'univers “SUSY” apparaît, issu d’une fluctuation commandée par la physique statistique des échanges quantiques... Bref, toute une physique nouvelle, est en train de s’installer, très difficilement. Restent les paramètres, qu’il faut ajuster aux mesures, ro, qo, connaissant seulement Ho, et To, et la composition chimique en éléments légers de l'univers... On a construit ainsi un “nouveau Big Bang”, très rafistolé par rapport à l’ancien, beaucoup moins simple, et qui semble, au prix d’une physique que, personnellement je trouve abusivement arbitraire, justifié par des soucis d’élégance, un peu comme la physique pythagoricienne, comme les épicycles de Ptolémée, ou les polyèdres de Kepler... Et ce modèle ne me satisfait pas. Il me satisfait d’autant moins que l’une des clefs de voûte du “Big Bang” (“old” ou “new”) reste le rayonnement de fond de ciel. Or, longtemps avant Gamow, divers auteurs, Guillaume en France, Regener ou Nernst en Allemagne, Eddington en Angleterre, Findlay-Freundlich et Born, en Écosse, avaient prédit le rayonnement isotrope de fond de ciel, avec une précision bien meilleure que celle de Gamow, en supposant simplement (comme Einstein) une durée de vie infinie à l'univers; auquel cas, le rayonnement issu des étoiles se dilue, arrive à un état d’équilibre unique, que l’on peut calculer, et sans que la théorie admette d'autres paramètres que les données brutes de l’observation du ciel actuel... Cela veut dire que le rayonnement de fond de ciel à 2.7 K n’est pas un fait d’importance cosmologique; il ne permet pas de trancher entre des théories opposées...


Cosmologies nouvelles


Le caractère très peu physique du “old Big Bang”, le caractère très artificiel du “new Big Bang”, le peu de valeur probante des observations considérées comme les plus cruciales en faveur de l’un ou de l’autre, ont fait chercher des solutions alternatives au Big Bang.


Un premier type de solutions a été proposé par Burbidge, Hoyle et Narlikar (BHN), suivant une idée plus ancienne de Hoyle et Bondi : celle d’un Univers quasi stationnaire. L'univers de BHN oscille entre deux densités extrêmes, finies. Il explique tous les phénomènes connus déjà cités, avec moins de paramètres arbitraires, et de façon aussi bonne, voire meilleure que l’un ou l’autre des “Big Bang”s. Cet univers implique une “création continue de matière”. Des quasars de matière “jeune” sont éjectés de chaque galaxie, à intervalles, et ont des “décalages spectraux anormaux” très élevés. L’existence de ces décalages a été prouvée par des dizaines d’observations (Arp); elle contredit complètement le Big Bang. Mais pour les expliquer, il faut faire ici encore appel à une “nouvelle physique” encore difficile à comprendre.


Par ailleurs, si BHN admettent la réalité de l’expansion, d’autres auteurs (après Zwicky et Belopolsky il y a plus d’un demi siècle, Findlay-Freundlich, vers 1954, puis Vigier et moi-même, vers 1972, et bien d’autres depuis) défendent l’idée de la “fatigue de la lumière”. En voyageant dans l’espace, la lumière interagit avec le milieu traversé, avec les particules du vide intergalactique, avec les champs gravitationnels qui l’habitent, avec les ondes qui le parcourent, ... avec... que sais-je?; la lumière perd de l’énergie de façon proportionnelle à la durée du trajet : c’est la loi de Hubble, prédite très simplement. La théorie de la lumière fatiguée, comme celle de BHN, admet un univers stationnaire, mais sans oscillations, et explique aussi bien les abondances des éléments et le rayonnement de fond de ciel. De plus, elle n’a pas besoin d’admettre un univers homogène et isotrope; elle est compatible avec l’observation d’une certaine “hiérarchie” (étoiles, galaxies, amas de galaxies, super-amas, hyper-amas), dont la densité moyenne décroît quand on passe d’une de ces structures à la suivante; ce qui interdit, c’est clair, la définition même d’une densité moyenne de l'univers... Mais, là encore, la “physique” de la fatigue est inconnue. Les photons de lumière devraient au repos avoir une masse non nulle. Or, on n’est jamais parvenu à la mesurer. Elle est, de toute façon, infime.


Il y a de fait bien d’autres cosmologies, souvent très plausibles et respectables, et bien d’autres, qui relèvent de la fantasmagorie ignorante. Sans les citer, j’ai voulu simplement montrer que le domaine est loin d’être clos; que l’on ne doit y accepter passivement aucun dogme nouveau (Big Bang par exemple).


On en est là, en plein débat. Chacun se croit sûr de son fait. Les non-dits de caractère métaphysique jalonnent cependant la discussion. Tant il est vrai qu’aux franges de la science, les progrès sont parfois lents et hésitants. La cosmologie reste un domaine ouvert, où le chercheur lui-même, tout en se fondant sur une aussi bonne physique que possible, doit rester au courant des observations, de la physique nouvelle, des idées des autres.


Jean-Claude Pecker, astrophysicien, membre de l’Académie des sciences,

professeur au Collège de France.